Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/492

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de tous, puis qu’en effet c’estoit Megabise. Il fut tel, Seigneur, que je n’y puis encore songer, sans une émotion extraordinaire.

Cependant, comme du lieu où j’estois caché, je ne pouvois voir le visage d’Amestris, & que je n’osois changer de place, de peur de faire quelque bruit qui me fist descouvrir ; je ne pouvois precisément connoistre, si elle le voyoit venir ou non. Neantmoins comme la jalousie change tous les objets, je ne laissay pas de m’imaginer, qu’elle le voyoit effectivement venir : & que par consequent, puis qu’elle ne s’en alloit point, il faloit croire qu’elle l’attendoit : & qu’ils estoient mesme en grande familiarité ensemble, puis qu’elle luy faisoit la grace de ne se lever pas pour le salüer, & de ne luy faire point de ceremonie. Je ne sçay, Seigneur, si je pourray bien vous exprimer ce que je sentis, en ces funestes moments : mais je sçay bien que l’Amour n’a jamais rien inventé de si cruel, pour tourmenter ceux qu’il veut punir, que ce que je souffris en cette occasion. Enfin, Seigneur, pour vous le faire connoistre, je n’ay qu’à vous dire que quelque joye que m’eust donné un instant auparavant, la veüe d’une si belle & si chere personne ; je ne laissay pas de desirer passionnément de la perdre. Je souhaittay qu’elle se levast, & qu’elle s’ostast de ce lieu-là en diligence : mais, disois-je, si elle s’en va, je ne la verray plus : mais, reprenois-je, si elle demeure, je la verray peut-estre favoriser mon Rival. Mais si elle se leve, adjoustois-je, il la suivra, & je ne verray point de quelle façon il sera traité : Mais si elle ne s’en va pas reprenois-je encore, ne sera-ce pas une preuve assurée, que Megabise est bien avec elle ? Va-t’en donc adorable Amestris, disois-je alors en joignant les mains, &