Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/58

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quand le vent repousseroit cette Galere dans le Port, ce ne seroit qu’à l’avantage d’Artamene, & que ce ne pouvoit estre au sien. Il s’imaginoit pourtant quelque espece de consolation, dans l’esperance qu’il concevoit, de pouvoir punir Mazare. Ne me permettras tu pas, dit il à Artamene, si les Dieux te redonnent ta Princesse, de t’espargner la peine de chastier ton ravisseur ? & ne souffriras tu pas que pour faire ce combat, l’on me donne une espée ? que je te promets de passer un moment apres ma victoire au travers de mon cœur, afin de te laisser joüir en paix, d’un bon heur que je te disputerois toujours, tant que je serois en vie. Cette vangeance me doit estre reservée, reprit Artamene : & puis que par le respect que je porte au Roy d’Assirie, desarmé & malheureux, je me prive du plaisir de me vanger de luy ; il faut du moins que je me reserve celuy de punir Mazare, & de sa perfidie, etde sa temerité. Apres cela, ces deux Rivaux sans se souvenir presque plus de leur haine, se mirent à regarder l’un & l’autre cette Galere : & faisant tantost des vœux, & tantost des imprecations, comme s’ils n’eussent eu qu’un mesme interest ; il y avoit des momens, où l’on eust dit qu’ils estoient Amis, tant cét objet dominant attachoit leurs yeux, leurs esprits, & leurs pensées. Mais enfin ils virent que tout d’un coup, la Mer changea de couleur ; que ses vagues s’esleverent ; & que grossissant encore en un moment, elles portoient tantost la Galere dans les Cieux ; & tantost elles l’enfonçoient dans les abismes, Cette triste veuë faisant alors un mesme effet, dans ces cœurs également passionnez ; Artamene regarda le Roy d’Assirie, avec une douleur inconcevable : &