Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/24

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S’il parloit à de ſimples ſoldats, c’eſt à vous mes compagnons, adjouſtoit il, à ſauver ce vaillant general, qui s’eſt toujours reſervé la plus grande part des plus grands perils, & qui n’en a jamais voulu avoir aucune à la magnificence du butin, dont il vous a enrichis. S’il voyoit des Phrigiens, il leur diſoit que le Roy leur Maiſtre leur commandoit d’aller à Sinope demander Artamene : s’il voyoit des Hircaniens, il leur diſoit la meſme choſe de la part du leur ; & ainſi à toutes les diverſes Nations dont cette grande Armée eſtoit compoſée. De ſorte que ce diſcours trouvant dans le cœur de tous les Capitaines & de tous les ſoldats une violente paſſion pour Cyrus (car nous ne le nommerons plus guere d’ores en avant Artamene) il n’eſt pas eſtrange ſi Madate alluma en un inſtant un grand feu, d’une matiere ſi diſposée à l’embraſement. Ce nom de Cyrus fut meſme bi ? toſt sçeu de toutes les troupes : Car les trente mille Perſans qui l’aprirent en un moment de leurs Capitaines à qui Madate le dit, le firent retentir par tout : & comme ſi ce grand Corps n’euſt eſté animé que d’un meſme eſprit, chacun ſe rangea ſous ſon Enſeigne, & demanda à eſtre conduit à Sinope. Le Nom d’Artamene & de Cyrus retentiſſent de Bande en Bande, & d’Eſcadron en Eſquadron : & plus de cent mille hommes enfin, parlent, à giſſent, & marchent, pour aller ſecourir celuy qu’ils regardent comme un Dieu, & dans la paix & dans la guerre.

Cependant la Troupe des Rois de Phrigie, & d’Hircanie, ſe groſſissoit à tous les momens dans la ville, de toutes les perſonnes de qualité qui eſtoient à Sinope, & de tous ceux que l’on ne vouloit pas laiſſer retourner au Camp : le peuple auſſi apres avoir ſimplement murmuré, commençoit de