Page:Sedaine - Théâtre.djvu/375

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je me suis ennuyée, mais très-ennuyée ; je me suis mise sur le balcon, la pluie m’en a chassée ; j’ai voulu lire, j’ai voulu broder, faire de la musique, l’ennui jetait un voile si noir sur toutes mes idées, que je me suis remise à regarder sur le grand chemin. J’ai vu passer un cavalier, qui pressait fort sa monture ; il m’a saluée : il m’a pris fantaisie de ne pas dîner seule. Je lui ai envoyé dire que madame la comtesse de Wordacle le priait d’entrer chez elle.

LE MARQUIS.

Pourquoi la comtesse de Wordacle ?

LA MARQUISE.

Une idée : je ne voulais pas qu’il sût que je suis femme de monsieur de Clainville (en élevant la voix), de monsieur de Clainville, qui a des terres dans cette province.

LE MARQUIS.

Pourquoi ?…

LA MARQUISE.

Je vous le dirai : il a accepté ma proposition. J’ai vu un cavalier qui se présente très-bien ; il est de ces hommes dont la physionomie honnête et tranquille inspire la confiance. Il m’a fait le compliment le plus flatteur ; il n’a laissé échapper aucune occasion de me prouver que je lui avais plu, il a même osé me le dire ; et soit que naturellement il soit hardi avec les femmes, ou peut-être, malgré moi, a-t-il vu dans mes yeux tout le plaisir que sa présence me faisait… Enfin, que vous dirai-je ? excusez ma sincérité, mais je connais l’empire que j’ai sur votre âme, dans l’instant le plus décidé d’une conversation assez vive vous êtes arrivé, et je n’ai eu que le temps de le faire passer dans ce cabinet, d’où il m’entend, si le récit que je vous fais lui laisse assez d’attention pour nous écouter. Alors, vous êtes entré ; je vous ai proposé ce pari assez indiscrètement ; je ne supposais pas que vous l’accepteriez, et j’ai eu tort, fatigué