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12 mai 1911. — J’y comptais presque. Il m’arrive. (J’avoue avoir regardé à regret son couvert vide, ce premier soir.) J’ai à peine eu le temps de lui faire dresser un lit… Il est là. Mais je ne l’attendais plus, si tard !

Rien n’est changé dans la beauté de la nuit. Comme le Printemps se gonfle tout d’un coup jusqu’à l’Été, j’habite, et pour longtemps, la plus grande de mes cours intérieures. J’ai dîné dans cette cour, sous le carré du ciel crépusculaire. J’ai lu et j’ai écrit un peu, et surtout, renversé sur la chaise de joncs, j’ai regardé, sans penser à rien de certain, le plafond cave étoilé au-dessus de ma face…

Il est là, brusquement arrivé, et calme, comme si le rectangle de mes murs l’abritait et le rassérénait.

Il s’est assis auprès de moi. Je devrais évidemment chercher des phrases à dire. Je ne dis rien. Je goûte avec sécurité, comme lui, la quiétude géométrique de ma maison. Il passe parfois au dehors un vendeur de fromages ou de pâtes, qui jette un extraordinaire cri, sur un mode angoissé, résolu par un retour étonnant et triomphant à la tonique juste ! — (Et tout ça pour vendre du fromage de haricots et des pâtes graisseuses !)