Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/110

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Le sentiment de l’existence serait seul un grand bien. L’être vivant doit se trouver assez heureux dès qu’il ne vit pas péniblement ; il jouit en se conservant pour jouir. Nous pouvons juger bonne toute situation à peu près indifférente : exister sur la terre est naturellement une satisfaction pour nous qui sommes placés sur la terre. En souffrant quelquefois, l’homme simple n’était pas malheureux, parce que le malheur n’est que dans la durée de l’affliction ? Un animal libre cesse bientôt de souffrir ou de vivre ; généralement il est occupé de conserver l’existence, et non de la supporter. S’il est attaqué, ou il est vainqueur, ou on le détruit. Est-il seulement blessé ; il ne tarde pas a succomber ou à guérir. Il en est ainsi de l’homme qui sachant vivre de chasse dans des pays incultes, ne veut rien de plus : il connaît le besoin, mais non la détresse, et il mourra sans avoir langui dans le chagrin.

En ajoutant peu de chose à nos premières jouissances, nous nous sommes préparé beaucoup de maux. Nous consumons dans l’anxiété les heures présentes, tandis que nous destinons au plaisir celles qui ne sont pas encore. Nous aimons à nous promettre sans relâche des joies vives ; mais la privation est inévitable quand on désire immodérément. Ce bien-être habituel que donnait l’existence, nous