Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cependant ne les évitez pas : gardez quelque mémoire de ce que vous eussiez aimé. Ne renoncez jamais à l’idée, au songe d’une perfection difficile. En ne faisant que pressentir quelquefois cette vie simple et forte, plusieurs hommes de génie ont montré qu’elle pourrait un jour n’avoir plus rien de chimérique (C).

Des impressions trop contraires s’affaiblissent mutuellement. Vous ne choisissez pas un tertre qui domine sur des plaines populeuses ; mais vous vous appuyez contre un frêne abattu dans l’épaisseur de la forêt, sous le feuillage des jeunes hêtres que déjà le vent fatigue, et dont, après quelques étés, on verra la chute.

Dès que les nuages s’écartent, dès que la pluie a cessé, l’oiseau chante dans les bois. Il semble dire qu’une feuille peut donner assez d’abri ; que dans la vie indépendante les peines ont peu de durée ; que la joie y sera entière, et que, pour l’industrie de l’être vivant, les richesses de la végétation suffisent.

Vous suivez lentement un sentier abandonné. Vous n’apercevez que la ronce sur le sable, la caverne où se réfugièrent les proscrits dont cette trace est le dernier monument, et les gouttes d’eau qui s’échappent des débris d’une fontaine, dont il