Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/369

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sorte le rôle naturel de certains critiques, mais il convenait peu à Voltaire.

Cette opinion que le monde visible, phénomène relatif aux conditions de notre existence présente, n’a pas lui-même d’existence absolue, cette hypothèse n’est pas une récente invention de quelque discoureur subtil. C’est une idée forte dont se sont approchés différemment la plupart des hommes de génie de l’Orient et de l’Occident, chez les anciens et chez les modernes.

Si la lumière nous parvient du soleil en sept minutes, et si, d’après la supputation d’Herschell, elle n’arrive des nébuleuses qu’en deux millions d’années, les nébuleuses sont à peu près 150,172,000,000 de fois plus éloignées que le soleil. Mille fois plus loin encore, nous croirions nous plus près des bornes du monde ? Que penser des distances, et des proportions dans l’espace ? Cent lieues ou une toise sont d’égales fractions de l’infini, ou plutôt des fractions également impossibles. Ainsi l’inlini positif, l’univers matériel ne saurait être. Il n’y aurait que l’idée. Elle seule est infinie, parce qu’elle ne l’est pas positivement, parce qu’elle est plutôt indéfinie. Dans cette immensité vague, elle reconnaît des proportions, en changeant de point de vue, en considérant des vérités relatives.

Les idées de l’espace et du temps ne sont autres peut-être que les idées générales de succession et de juxta-position. C’est à peu près ainsi du moins que Hobbes a considéré le lieu. L’être que nous imaginerons hors de nous aura sa place dans l’espace comme l’aura dans le temps chaque incident qui, selon notre pensée, surviendra soit avant, soit après celui dont nous nous croirons alors les témoins.