Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/394

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style ne peut plus être négligé avec une liberté que beaucoup de lecteurs appelleraient du désordre.

La langue se modifie avec l’état moral et intellectuel du peuple dont elle exprime plus ou moins fidèlement le caractère. Les mœurs ne peuvent changer sans exiger un nouveau langage, et de même le style dont nous prenons l’habitude influera sur nos conceptions. Cependant les vicissitudes qui ont été subies par des langues plus anciennes que l’art typographique ne se reproduiront pas de nos jours sans de grandes différences. Mais d’autres changemens résultent de l’étendue des idées, de l’activité des études, et surtout de la connaissance des traditions d’un grand nombre de peuples. Leurs inspirations littéraires se réunissent dans la pensée même de celui qui ne les a pas précisément étudiées. De cette notion générale doit naître le besoin de donner à l’idiome du pays plus de souplesse ou de hardiesse, afin de le rapprocher d’une langue, pour ainsi dire illimitée, qui serait celle du genre humain.

Il est difficile que cette nuance nouvelle et forte ne soit pas incorrecte dans les premiers temps, et même fausse, ou du moins exagérée. Elle tombe d’abord en partage à la jeunesse qui a souvent le bonheur de se soustraire au jour de l’habitude, mais dont aussi le discernement est peu sûr, et dont le goût n’est pas entièrement formé. Ainsi apparut parmi nous, avec de nombreux écarts, mais avec des moyens naturels de séduction, ce genre qualifié de romantique dont les bornes seraient difficiles à déterminer[1].

  1. La plupart de ceux dont les écrits offrent au premier degré les avantages du genre romantique, se gardent d’en tolérer chez