Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/393

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multipliées affaiblissent le trait principal, ou bien des habitudes trop attentives nuiront à la chaleur, et s’il arrive qu’on ait peu de difficultés à vaincre, on dépendra bizarre pour paraître capable d’en surmonter en s’ouvrant des voies nouvelles.

Si la perfection d’une langue consistait uniquement dans l’étendue des moyens, dans l’abondance, l’exactitude la variété, la propriété des mots, la langue s’enrichirait tant que l’ordre subsisterait, tant que le peuple conserverait ses habitudes civiles, ou sa prépondérance parmi les nations. Si notre esprit, en réunissant un plus grand nombre d’idées, restait capable d’en déterminer exactement les rapports, s’il voyait toujours bien, si rien ne le fatiguait, toute acquisition serait un accroissement réel. Mais sans cesse les choses humaines s’affaiblissent de quelque côté. Eu obtenant des avantages nouveaux, on s’expose à négliger ceux dont on jouissait, et en devenant subtil on doit cesser d’être énergique. Souvent il en sera des beautés de la langue comme des ouvrages du pinceau. Une correction trop soignée, trop méthodique en diminue le mérite ; à force d’être minutieuse elle peut paraître vulgaire et décolorée.

Dans les grandes compositions, il convient de laisser certains traits indéfinis, pour que les masses conservent une harmonie plus imposante. Alors l’imagination occupée surtout des grands effets, sera encore excitée par cette partie vague et inconnue où il reste, comme dans la nature, des beautés possibles, afin que chacun suppose celle qu’il aime davantage, et puisse découvrir dans les jouissances de tous une jouissance qui lui soit personnelle. Cependant lorsque la critique s’est exercée long-temps, le