Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/396

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obtiendrait peut-être une suite assez rapide de succès illégitimes ; mais il faudra plus pour conserver un nom honorable chez des générations habituées à l’examen en toute chose. Ce sera du moins une nécessité de n’être jamais trivial sous prétexte de naïveté, ou burlesque avec emphase, c’est-à-dire de n’être jamais ridicule. La raison subsistera, et ce qu’elle pourra justifier dans ces innovations sera seul approuvé d’un peuple instruit.

Le goût dans toute composition est le sentiment des convenances. Les écrivains que leur méthode ou leur tact font désigner sous le nom de classiques demandent qu’on écrive avec goût, c’est-à-dire qu’on sente les convenances et qu’on les observe. Leurs adversaires permettent ou exigent qu’on se joue d’elles ; ils ne songent qu’à frapper une sorte d’imagination étroite, mais vive ou déréglée, dont se vante la multitude, et qui est, chez tant de gens ingénieux sans justesse, la folle du logis. Écrire précisément à la manière romantique, user tout-à-fait de cette liberté, c’est écrire déraisonnablement ; c’est ne pas choisir ce qui serait mesuré, ce qui serait pur et grand, simple et délicat. C’est trop préférer ce qui paraît facile ; c’est s’exprimer en écolier qui, venant de finir ses classes, met son plaisir, et plus mal à propos encore sa gloire, à ne plus connaître de règles. La véritable règle, cette perpétuelle convenance n’est pas arbitraire, du moins en général, et dans ce qui la rend obligatoire. La convenance qu’il faut respecter est celle qui sera toujours justifiée positivement, si on cherche à s’en rendre raison, et si l’examen est assez scrupuleux, ou le discernement assez prompt. Que manque-t-il surtout à ceux qui ne veulent être que romantiques ? l’attention. Aussi voit-on constamment les bons