Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/399

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besoin des conseils du goût. Le plus parfait des écrivains ne serait regardé ni comme classique, ni comme romantique, parce qu’il serait l’un et l’autre. Mais, dira-t-on, si on obtenait par cette double reforme une pureté féconde, et une vigueur irréprochable, cela même serait éminemment classique. Sans doute, ce serait la manière classique devenue, selon les convenances actuelles, plus originale et plus hardie. Et toutefois ce serait aussi la manière romantique plus raisonnable, plus châtiée ; mais assez libre encore, et même plus constamment naturelle. Le naturel n’est pas ce qui, par singularité, se présente d’abord à l’imagination, ce que dictent même, ou ce qu’inspirent des habitudes ou des inclinations particulières ; mais ce que tous les esprits auxquels on ne pourra contester de la justesse et de l’étendue croiront d’accord avec l’ordre universel, ou conforme à nos penchans les moins variables, les plus secrets, et pourtant les moins douteux.

Si nos principaux écrivains cessaient de paraître exclusivement classiques, ils ne deviendraient pas pour cela exclusivement romantiques. C’est ainsi que plusieurs modernes se sont rapprochés des poètes sans abandonner la prose, mais en croyant qu’elle ne devait pas rester toujours aussi familière et aussi simple. Elle peut avoir aujourd’hui plus de chaleur, de force et d’élévation ; mais elle laisse aux vers de certains avantages réels, ainsi que d’autres prérogatives dont se montre peu jalouse une utile et mâle sévérité. La littérature française sera donc plus variée, ou même moins égale et moins timorée, sans s’écarter entièrement de ce qu’elle a été dans les deux derniers siècles, et sans renoncer à ce qui l’illustrait.