Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/414

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nous de mettre au niveau d’Épaminondas ou de Phocion, Anacréon ou même Pindare, et d’appeler Jean-Baptiste le grand Rousseau. Quel serait l’état de la société, si on n’avait jamais écrit que des sonnets ou des ballades ? Si nous supprimons les grands hommes, les vrais législateurs, les écrivains utiles, vainement nous donnerons à chaque métropole une Sapho, un Ausone, et même un Racine ; les deux tiers de la population resteront dans le plus dur esclavage. Les villes emportées d’assaut seront encore brûlées, les femmes seront livrées aux soldats, les lieutenans des khalifs trancheront des têtes pour essayer leur cimeterre, et tout un peuple à genoux suppliera le dragon de ne pas dévorer la lune.

S’il est un écrivain condamnable, c’est celui qui usurpe l’autorité de la raison, et qui, venant annoncer qu’il cherche le vrai, ne le cherche pas avec sincérité. S’il est un être absurde, c’est celui qui, se croyant un philosophe, ne s’efforce pas d’être un sage. Il reconnaît des principes, et il ne les suit pas. Est ce faiblesse ou hypocrisie ? Reste-t-il au-dessous du vulgaire, excusé du moins par son ignorance, ou bien se place-t-il plus bas, en un sens, que le faux dévot qui peut-être a redouté la persécution. Il n’est pas permis à un homme de parler solennellement aux hommes, de les entretenir de leurs devoirs, s’il n’est plein lui-même du sentiment de l’ordre, s’il ne désire avant tout la félicité publique. Quiconque, ne soumettant pas à cette idée toutes ses affections, peut en secret chercher de préférence les honneurs ou les biens, l’amour et la gloire, n’est pas né pour cette magistrature modeste, durable et auguste d’instituteur des générations.

Triste inimitié entre la religion et la philosophie ? Toutes