Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/413

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moins sanglans, et qu’ils furent moins durables que ceux de Rome au temps d’Octave ou de Sylla ; que jamais, dans des jours de licence, la rivalité ou la haine n’ont manqué de prétextes ; que tout est bon pour remuer des bras disposés a porter indifféremment au carnage un cilice ou le livre des droits de l’homme ; que durant deux ou trois années des tyrans subalternes ont pu abuser de certains mots en France, comme à trois cents lieues d’ici on avait abusé de certaines phrases durant plusieurs siècles ; que s’il existait une contrée où la philosophie eût eu part avec quelque liberté au gouvernement d’un état moderne, ce serait derrière l’Atlantique, chez des esprits rébelles sans doute, mais dont les mœurs valent peut-être les anciennes coutumes du Bas-Empire, et dont l’administration le cède peu à celle de l’Italie centrale.

Quelques auteurs qui se disaient attachés à la philosophie parurent, il est vrai, n’écrire que pour égarer de nouveau l’opinion, en substituant à des préjugés funestes une licence, une légèreté aussi déraisonnables. Mais faut-il accuser la sagesse, parce que des insensés, profanant son nom, parodièrent les généreuses lois de cette morale que la philosophie interprète pour le repos de la terre ? Parce qu’on abusa du talent qui pourrait joindre aux beautés de l’expression la force des pensées, doit-on proscrire l’éloquence dès qu’elle s’élève au-dessus de l’art frivole des rhéteurs ? Sans doute, l’arrangement des mots exige de la patience et du goût ; mais enfin ce n’est pas de la difficulté que dépendront principalement notre mérite et la valeur de notre œuvre. Si des poètes agréables ou d’élégans prosateurs ne disent rien de sérieux, ne les félicitons de leurs succès qu’avec beaucoup de réserve. Gardons-