Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/63

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Le saura-t-on sur les sphères éloignées ? L’universalité des êtres en sera-t-elle affaiblie ? Et si d’autres espèces se perpétuent derrière nos cieux, le savons-nous ? Si elles disparaissent, en sommes-nous informés ? Quand soixante mille Tatars immolent soixante mille Hindoux, les danses de l’Europe sont-elles interrompues ? Quelle est donc cette ombre terrestre qui se fait un autre monde, ne voulant plus de celui qui l’enthousiasmait, qui, après avoir gémi de ne pouvoir aspirer à toutes choses, demande qu’on la délivre de ses besoins, ou de ses espérances, et qui, dans sa tardive raison, ne saurait obtenir de la joie, comme un jeune chevreuil se jouant sur le sable ?

Notre imagination du moins sait agrandir notre faible partage, et quand elle s’accorde avec la retenue de la pensée, elle inspire de la confiance. Il semble que plus tard les routes où elle nous introduit pourront être réellement parcourues. Cet avantage d’imaginer, afin d’espérer, n’appartient-il qu’à ceux qui ont visité les plus belles régions, les rivages les plus imposans, qui se sont arrêtés devant le cirque de Gavarnie, ou qui sont restés pensifs sur les orageux promontoires de Sofala ? Partout la nature est puissante ; partout les cieux sont vastes et les plantes fécondes. À quelques pas de votre de-