Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/62

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monde éloigné, dont il est difficile de détourner les regards, abonde en harmonies conformes à nos plus justes désirs. Peut-être restera-t-il toujours imaginaire ; mais comment décider qu’il ne saurait être réalisé nulle part ? Est-ce seulement une conception grande, et propre à nous distraire de tant d’amertumes devenues inévitables ? Ou plutôt la vie que nous ont prescrite les générations abusées ne serait-elle pas un continuel oubli de ce que nous devions avoir en partage ?

Que trouver sur une terre dévastée par les passions ? Une voix secrète anime le génie de l’homme juste, et semble lui dire : « Tu es formé pour désirer d’agir ; regarde ce qu’il serait bon de faire. » Mais les hommes justes ne pourront presque jamais l’entreprendre, et il est nécessaire peut-être que nul ne l’accomplisse.

Comment l’habitation de l’homme s’ennoblirait-elle pour lui ? Tout centre est un foyer d’action, mais la puissance se perd sur un rayon trop prolongé. Que le mouvement de notre globe change, la plupart des hommes périssent. Que le soleil se couvre presque entièrement de ces vapeurs qui déjà l’ont obscurci, ils périssent. Que l’orbite d’une comète encore inconnue vienne à couper celle de la terre, l’homme et les autres habitans de la terre peuvent périr.