Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/70

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ractère passionné la négligera durant la jeunesse. D’autres esprits, entraînés par des événemens imprévus, se font une sorte d’habitude de n’en point connaître. Mais l’homme modéré n’aime pas à perdre le souvenir de ce qu’il a choisi, et rarement il se lassera de ce qui aura mérité son attention. Plus égal parce qu’il est moins avide, il jouit mieux des choses qu’il a déjà possédées ; il montre plus de constance, précisément parce qu’il a des facultés plus étendues. Sachant aimer chaque jour par des raisons nouvelles ce qu’il a chéri long-temps, il n’est pas prompt à se figurer que les objets inconnus jusqu’alors, ou difficiles à obtenir, seront doués d’une perfection plus grande.

On a dit que des habitudes invétérées convenaient surtout à une organisation faible. Cela peut être. Lors même que l’homme médiocre recherche de nombreuses émotions, lorsqu’il aime à les varier encore pour les proportionner à ses moyens, il demande surtout qu’elles n’aient rien de périlleux, et chacune de ses affections décèle une crainte. Quiconque sera formé pour la dépendance recevra comme un joug ce qui n’offrirait à d’autres qu’un libre appui. Mais il suffit de supposer des institutions meilleures pour comprendre que les hommes faibles pourraient, sans beaucoup d’inconvéniens,