Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/76

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des montagnes, ou la tempête sur un rivage de granit ébranlé par le choc de l’Océan, ne nous feront dire : Malheur à nous qui tardons à mourir ! Mais si vous voyez, vers le soir, de paisibles collines où s’arrête le soleil ; si la fleur du citronnier répand dans les airs, ces parfums qui enivrent d’un desir vague des esprits trop confians ; si le prestige s’étend de toute part, vous environne, vous atteint, vous qui savez à quoi se réduira, parmi les hommes de nos jours, l’intime allégresse d’un homme juste ; si, retenant même un soupir, sans indignation, sans abattement, vous portez le poids de ce bonheur, et visible et chimérique, sages mortels, que pourrez-vous de plus ? Laissez passer les heures ; qu’il vous suffise quelquefois d’exprimer votre pensée dans sa mystérieuse énergie, afin d’avancer la pensée générale, et d’abréger peut-être les siècles de l’homme sur une terre de doute et d’initiation.

Nous aussi, nous aimions les beaux jours. Mais la vue de ce qui est, remplace enfin l’idée de ce qui pourrait être. Ces pertes sont l’ouvrage des hommes. Une législation circonspecte, et néanmoins téméraire, entreprend peu de chose contre les écarts, et légitime ce qui les favorise sourdement. Le plaisir devait durer autant que la vie. Le plaisir serait de tous les âges ; les vieillards même verraient avec