Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/78

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feuilles qui, sans être frappées de l’orage, se détachent et s’abandonnent au mouvement de l’air, tout cet aspect harmonieux et funèbre s’accorde avec le souvenir de tant d’heures écoulées, avec le vague regret de celles qui auraient dû être heureuses. Émus, attristés peut-être, nous aimons ce charme un peu sombre, dernière nuance des illusions lointaines, consolation de l’œil fatigué d’une imprudente lumière. Aisément on consent à ne rien pouvoir quand la fécondité manque à tant de choses. Cette trace générale d’affaiblissement, cette sorte de résignation empreinte dans l’aspect du monde, adoucissent le sentiment triste et précieux de nos pertes. Les matinées d’automne, plus tranquilles, plus voilées, un peu nébuleuses, suscitent en nous le désir patient qui sera notre refuge, le projet hardi toutefois, de ne tomber qu’avec lenteur, sans sans résistance.

Un infortuné pour qui le printemps n’a plus de prestige, se plaît à errer dans les champs dont les travaux ont cessé, ou dans les vergers dépouillés de leurs fruits. Il voit que la végétation s’arrête, et comme si le vieux mouvement des choses finissait, il espère a l’anxiété humaine un terme devenu désirable. Malgré le progrès de nos siècles, jamais vous ne connaîtrez de jouissances moins passagères que