Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/90

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contentement durable, c’est de répandre autour de soi le contentement. L’insensé voudrait jouir seul ; mais le plaisir étant surtout une apparence, pour la conserver entière préférons un plaisir dont l’épreuve ne se fasse pas sur nous-mêmes. On sent moins la vanité de ce qu’un autre possède, et, chacun se laissant persuader ainsi, chacun devient à peu près heureux, malgré l’insuffisance de tous les biens directs.

Si, au contraire, nous prétendons nous réserver des avantages exclusifs, nous ne trouvons que des maux. Le dernier objet de nos vœux, mal connu de nous-mêmes, n’a pas été placé en nous. La conformité des sensations devait réunir les hommes ; la tristesse sera le partage de celui qui ne s’occupera que de lui-même. Un jour, les superstitions et les haines ne seront plus ; ils ne seront plus les dédommagemens licencieux de la servitude, ou les stériles préceptes des doctrines austères. Alors la vraie loi paraîtra sur le point de régner : la morale ne saurait périr. Ces momens actuels que nous nommons les siècles civilisés se trouveront enveloppés dans les ténèbres qui déjà couvrent à nos yeux les temps sauvages. Des peuplades moins agitées, plus unies, plus voluptueuses même, des nations plus justes perdront jusqu’au souvenir de nos essais malheureux. Cepen-