Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/89

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faudrait un contentement habituel, et non des émotions vives ou rares. La tranquille possession qui se reproduirait elle-même dans la paix domestique serait préférable à des désirs impétueux, dont l’ivresse doit affaiblir le cœur et le vieillir avant l’âge. Mais dans une société inquiète, la raison même n’obtiendra guère ce calme si souvent méconnu, ce bien-être meilleur que les plaisirs.

Les hommes ont voulu quelque chose de plus digne de leur grandeur insensée. Les proportions naturelles leur paraissent trop régulières ; ils s’attachent aux formes colossales, et ils ne poursuivent que des ombres. Que d’entreprises commencées avec chaleur parmi eux ! Mais, excepté sur le point où ils s’agitent, on ignore dans l’espace s’ils existent eux-mêmes. Évitons les maux, en imposant à notre imagination de certaines limites. C’est au centre que se trouve le vrai pouvoir ; tous les êtres pèsent les uns sur les autres, et la force de résistance s’affaiblit en s’éloignant du principe. Ménageons-nous des jouissances, c’est quelquefois notre destination ; efforçons-nous d’en préparer pour d’autres hommes, c’est plus souvent notre vertu.

N’admettons que le plaisir réel, le plaisir pur, et cherchons-le avec réserve : sans cette prudence il n’est point de félicité. Partageons le plaisir : le seul