Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme superflu. Ce qui est désirable c’est de vivre sans beaucoup souffrir. Déjà une partie de son être échappe à celui qui souffre ; tout mal ayant pour principe des causes de destruction, paraît étranger à la plénitude de la vie. Quand nous nous voyons ainsi menacés, quand nous craignons de n’avoir de forces que pour nous défendre, les autres mouvemens de notre cœur sont suspendus, et nos amis attendront eux-mêmes peu de chose de nous, parce que notre destination devient incertaine.

Pour un grand nombre d’hommes, pour ceux que le sort ne place pas au milieu du bruit, la satisfaction dépendra plus encore des dispositions habituelles de la pensée que de l’influence des causes extérieures. À l’exception de quelques momens d’une crise morale si nous nous sommes laissé un peu surprendre, les événemens n’ont qu’une force relative : selon les époques, ils nous accablent, ou ils nous affectent à peine, et même c’est peut-être de nous, en dernier lieu, que dépendront le plus les maux ou les biens, très-inégalement distribués parmi nous.

Ce qui est indispensable, c’est une certaine analogie entre les circonstances principales que nous attendons, et l’activité ou les ressources de notre raison. De célèbres législateurs l’avaient senti ; mais ils établirent d’une manière trop formelle la distinc-