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Il se peut qu’une nuit avec Laïs soit le plus grand plaisir de l’homme ; mais enfin ce n’est qu’un plaisir. S’occuper d’une femme extraordinaire, et dont on est aimé, c’est davantage, c’est un devoir même ; mais enfin ce n’est qu’un devoir secondaire.

Je ne conçois pas ces puissances à qui un regard d’une maîtresse fait la loi. Je crois sentir ce que peut l’amour ; mais un homme qui gouverne n’est pas à lui. L’amour entraîne à des erreurs, à des illusions, à des fautes ; et les fautes de l’homme puissant sont trop importantes, trop funestes, elles sont des malheurs publics.

Je n’aime pas ces hommes chargés d’un grand pouvoir, qui oublient de gouverner dès qu’ils trouvent à s’occuper autrement ; qui placent leurs affections avant leur affaire, et croient que si tout leur est soumis c’est pour leur amusement ; qui arrangent selon les fantaisies de leur vie privée les besoins des nations, et qui feraient hacher leur armée pour voir leur maîtresse. Je plains les peuples que leur maître n’aime qu’après toutes les autres choses qu’il aime, ces peuples qui seront livrés, si la fille de chambre d’une favorite s’aperçoit qu’on peut gagner quelque chose à les trahir.

LETTRE XXXV.

Paris, 8 juillet, III.

Enfin j’ai un homme sûr pour finir les choses dont le soin me retenait ici. D’ailleurs elles sont presque achevées : il n’y a plus de remède, et il est bien connu que me voilà ruiné. Il ne me reste pas même de quoi subsister jusqu’à ce qu’un événement, peut-être très-éloigné, vienne changer ma situation. Je ne sens pas d’inquiétude, et je ne vois pas que j’aie beaucoup perdu en perdant tout, puisque je ne jouissais de rien. Je puis devenir, il est vrai,