Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/122

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plus malheureux que je n’étais ; mais je ne deviendrai pas moins heureux. Je suis seul, je n’ai que mes propres besoins ; assurément, tant que je ne serai ni malade ni dans les fers, mon sort sera toujours supportable. Je crains peu le malheur, tant je suis las d’être inutilement heureux. Il faut bien que la vie ait des temps de revers ; c’est le moment de la résistance et du courage. On espère alors ; on se dit : Je passe la saison de l’épreuve, je consume mon malheur, il est vraisemblable que le bien lui succédera. Mais, dans la prospérité, lorsque les choses extérieures semblent nous mettre au nombre des heureux, et que pourtant le cœur ne jouit de rien, on supporte impatiemment de voir ainsi se perdre ce que la fortune n’accordera pas toujours. On déplore la tristesse du plus beau temps de la vie ; on craint ce malheur inconnu que l’on attend de l’instabilité des choses ; on le craint d’autant plus, qu’étant malheureux, même sans lui, on doit regarder comme tout à fait insupportable ce poids nouveau dont il doit nous surcharger. C’est ainsi que ceux qui vivent dans leurs terres supportent mieux de s’y ennuyer pendant l’hiver, qu’ils appellent d’avance la saison triste, que l’été dont ils attendent les agréments de la campagne.

Il ne me reste aucun moyen de remédier à rien de ce qui est fait, et je ne saurais voir quel parti je dois prendre jusqu’à ce que nous en ayons parlé ensemble ; ainsi je ne songe qu’au présent. Me voilà débarrassé de tous soins : jamais je n’ai été si tranquille. Je pars pour Lyon ; Je passerai chez vous dix jours dans la plus douce insouciance, et nous verrons ensuite.