Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/150

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ques secours. Je ne sus pas le reconnaître pour le moment ; mais ensuite je fus accablé en me rappelant que ce ne pouvait être que ce professeur de troisième, si laborieux et si bon. Je me suis informé ce matin ; mais je ne sais si je pourrai découvrir le triste grenier où, sans doute, il passe ses derniers jours. L’infortuné aura cru que je ne voulais pas le reconnaître. Si je le trouve, il faut qu’il ait une chambre et quelques livres qui lui rendent ses habitudes : il me semble qu’il y voit encore bien. Je ne sais ce que je dois lui promettre de votre part ; marquez-le-moi : il ne s’agit pas d’un moment, mais du reste de sa vie. Je ne ferai rien sans savoir vos intentions.

J’avais passé plus d’une heure, je crois, à hésiter de quel côté j’irais pour marcher un peu. Quoique cet endroit fût plus loin de ma demeure, j’y fus entraîné ; apparemment c’était par le besoin d’une tristesse qui pût convenir à celle dont j’étais déjà rempli.

J’aurais volontiers affirmé que je ne la reverrais jamais. C’était une chose bien résolue, et cependant... Son idée, quoique affaiblie par le découragement, par le temps, par l’affaiblissement même de ma confiance en un genre d’affections trop trompées ou trop inutiles, son idée se trouvait liée aux sentiments de mon existence et de ma durée au milieu des choses. Je la voyais en moi, mais comme le souvenir ineffaçable d’un songe passé, comme ces idées de bonheur dont on garde l’empreinte, et qui ne sont plus de mon âge.

Car je suis un homme fait. Les dégoûts m’ont mûri : grâce à ma destinée, je n’ai d’autre maître que ce peu de raison qu’on reçoit d’en haut sans savoir pourquoi. Je ne suis point sous le joug des passions ; les désirs ne m’égarent pas ; la volupté ne me corrompra pas. J’ai laissé là toutes ces futilités des âmes fortes : je n’aurai point le ridicule de jouir des choses romanesques dont on doit