Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/176

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Sans doute ; et n’est-ce pas une preuve que nous ne sommes autre chose dans l’univers que des figures burlesques qu’un charlatan agite, oppose, promène en tous sens ; fait rire, battre, pleurer, sauter, pour amuser... qui ? je ne le sais pas. Mais c’est pour cela que je voudrais être esclave ; ma volonté serait soumise, et ma pensée serait libre. Au contraire, dans ma prétendue indépendance, il faudrait que je fisse selon ma pensée : cependant je ne le puis pas, et je ne saurais voir clairement pourquoi je ne le pourrais pas ; il s’ensuit que tout mon être est dans l’assujettissement, sans se résoudre à le souffrir.

Je ne sais pas bien ce que je veux. Heureux celui qui ne veut que faire ses affaires ; il peut se montrer à lui-même son but. Rien de grand (je le sens profondément), rien de ce qui est possible à l’homme et sublime selon sa pensée, n’est inaccessible à ma nature : et pourtant, je le sens de même, ma fin est manquée, ma vie est perdue, stérilisée ; elle est déjà frappée de mort ; son agitation est aussi vaine qu’immodérée ; elle est puissante, mais stérile, oisive et ardente au milieu du paisible et éternel travail des êtres. Je ne sais que vouloir ; il faut donc que je veuille toutes choses : car enfin je ne puis trouver de repos quand je suis consumé de besoins, je ne puis m’arrêter à rien dans le vide. Je voudrais être heureux ! Mais quel homme aura le droit d’exiger le bonheur sur une terre ou presque tous s’épuisent tout entiers seulement à diminuer leurs misères ?

Si je n’ai point la paix du bonheur, il me faut l’activité d’une vie forte. Certes, je ne veux pas me traîner de degrés en degrés, prendre place dans la société, avoir des supérieurs avoués pour tels, afin d’avoir des inférieurs à mépriser. Rien n’est burlesque comme cette hiérarchie des mépris qui descend selon des proportions très-exac-