Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/290

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jour : il y eut assemblée au cabaret, et ils décidèrent que pour cette fois le spleen avait pris le dessus, et que je fournirais un beau suicide aux annales du village.

Je suis fâché de n’avoir pas pensé d’avance à l’effet que ces singularités pourraient produire. Je n’aime pas à être remarqué : mais je ne l’ai su que quand tout cela était une habitude déjà prise ; et on ne parlerait pas moins si j’allais en changer pour le peu de jours que je dois encore passer ici. Comme si je n’y savais que faire, j’ai cherché à consumer les heures. Quand je suis actif, je n’ai pas d’autres besoins ; mais si je m’ennuie, j’aime du moins à m’ennuyer avec mollesse.

Le thé est d’un grand secours pour s’ennuyer d’une manière calme. Entre les poisons un peu lents qui font les délices de l’homme, je crois que c’est un de ceux qui conviennent le mieux à ses ennuis. Il donne une émotion faible et soutenue : comme elle est exempte des dégoûts du retour, elle dégénère en une habitude de paix et d’indifférence, en une faiblesse qui tranquillise le cœur que ses besoins fatigueraient, et nous débarrasse de notre force malheureuse. J’en ai pris l’usage à Paris, puis à Lyon : mais ici, j’ai eu l’imprudence de le porter jusqu’à l’excès. Ce qui me rassure, c’est que je vais avoir un domaine et des ouvriers, cela m’occupera et me retiendra. Je me fais beaucoup de mal maintenant ; mais comptez sur moi, je vais devenir sage par nécessité.

Je m’aperçois, ou je crois m’apercevoir que le changement qui s’est fait en moi a été beaucoup avancé par l’usage journalier du thé et du vin. Je pense que, toutes choses d’ailleurs égales, les buveurs d’eau conservent bien plus longtemps la délicatesse des sensations, et, en quelque sorte, leur première candeur. L’usage des stimulants vieillit nos organes. Ces émotions outrées, et qui ne sont pas dans l’ordre des convenances naturelles entre