Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/291

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nous et les choses, effacent les émotions simples, et détruisent cette proportion pleine d’harmonie qui nous rendait sensibles à tous les rapports extérieurs, quand nous n’avions, pour ainsi dire, de sentiments que par eux.

Tel est le cœur humain ; le principe le plus essentiel des lois pénales n’a pas d’autre fondement. Si on ôte la proportion entre les peines et les délits, si on veut trop presser le ressort de la crainte, on perd sa souplesse ; et si on va encore plus loin, il arrive enfin qu’on le brise : on donne aux âmes le courage du crime ; on éteint toute énergie dans celles qui ont de la faiblesse, et l’on entraîne les autres à des vertus atroces. Si l’on porte au delà des limites naturelles l’émotion des organes, on les rend insensibles à des impressions plus modérées. En employant trop souvent, en excitant mal à propos leurs facultés extrêmes, on émousse leurs forces habituelles ; on les réduit à ne pouvoir que trop, ou rien ; on détruit cette proportion ordonnée pour les circonstances diverses, qui nous unissait même aux choses muettes, et nous y attachait par des convenances intimes. Elle nous laissait dans l’attente ou l’espoir, en nous montrant partout des occasions de sentir ; elle nous laissait ignorer la borne du possible ; elle nous laissait croire que nos cœurs avaient des moyens immenses, puisque ces moyens étaient indéfinis, et puisque, toujours relatifs aux choses du dehors, ils pouvaient toujours devenir plus grands dans des situations inconnues.

Il existe encore une différence essentielle entre l’habitude d’être émus par l’impression des autres objets, ou celle de l’être par l’impulsion interne d’un excitatif donné par notre caprice ou par un incident fortuit, et non par l’occurrence des temps. Nous ne suivions plus le cours du monde ; nous sommes animés lorsqu’il nous abandonnerait au repos, et souvent, c’est lorsqu’il nous animerait,