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LES APOCRYPHES.

quent usage du chœur. Dans plusieurs pièces, notamment dans Henry V, dans Roméo et Juliette, dans le Conte d’hiver, Shakespeare a admis ce personnage fictif, mais uniquement pendant les entr’actes, comme une sorte de représentant de la muse chargé, par ses effusions lyriques, de maintenir une perpétuelle entente entre le poëte et le public. Ce personnage peut à la rigueur commenter le drame, l’expliquer même, mais il n’en est jamais l’agent indispensable. Faites-le disparaître, et le drame où il figurait reste entier, et l’action se poursuit sans aucune solution de continuité. Tel n’est pas le cas pour Périclès. Ici le chœur, qui paraît sous la figure du poëte Gower, est un interprète essentiel de l’œuvre ; c’est lui qui est chargé de résumer l’intrigue, de la condenser, de l’éclairer. Ses récits sont nécessaires pour relier entre elles les diverses phases du drame et pour suppléer aux lacunes de la représentation. Éliminez ce chœur qui apparaît six fois dans Périclès, et Périclès deviendra à peu près inintelligible.

Ainsi, si je considère spécialement la composition de cet ouvrage, je suis réduit à reconnaître qu’elle est absolument contraire au procédé usuel de Shakespeare, et jusqu’ici, je suis tenté de conclure, avec Steevens, que Shakespeare a été complètement étranger à l’élaboration primitive de Périclès. Mais ce qui m’empêche d’adopter décidément cette conclusion, c’est le style même de Périclès. Pour peu que j’examine ce style, je ne suis plus d’accord avec Steevens et j’incline brusquement vers l’opinion de M. Knight. Selon moi, il n’y a pas une phrase dans Périclès, pas une ligne, pas un mot qui ne soit dû à la plume de Shakespeare. Mais ici même je distingue : au commencement et au milieu de l’œuvre, je retrouve presque partout la première manière du maître ; à la fin, je reconnais parfaitement la seconde. Les scènes qui ouvrent le drame, — ces scènes qui nous font voir le prince de Tyr devinant la meurtrière énigme