Page:Shakespeare - Œuvres complètes, Laroche, 1842, vol 1.djvu/178

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moment où vous êtes arrivé, son assistante ou son entremetteuse venait de me quitter ; je dois me trouver chez elle entre dix et onze heures ; car, à cette heure, son jaloux, son belître de mari sera absent. Venez me trouver ce soir ; je vous dirai comment les choses se seront passées.

FORD. Que je suis heureux de vous avoir rencontré ! connaissez-vous Ford, monsieur ?

FALSTAFF. Lui ! ce pauvre diable de cocu ! je ne le connais pas. Néanmoins, c’est à tort que je l’appelle pauvre : on dit que ce jaloux Cassandre a des monceaux d’or, ce qui, à mes yeux, relève singulièrement les attraits de sa femme. Elle sera pour moi la clef du coffre-fort de ce vieux fou, et c’est tout ce que j’ambitionne.

FORD. J’aurais souhaité que son mari vous fût connu ; car alors vous pourriez éviter sa rencontre.

FALSTAFF. Lui ! cet automate, ce marchand de beurre salé ! allons donc ! il n’oserait soutenir mon regard : la vue de ma canne le ferait trembler ; elle planera comme un météore sur les cornes de ce cocu. Monsieur Brook, vous me verrez écraser ce pékin de ma supériorité, et vous aurez sa femme, croyez-moi. Venez me voir de bonne heure ce soir ; Ford est un sot, et j’ajouterai un nom de plus à ses titres ; je veux qu’avant peu, monsieur Brook, vous le teniez pour un belître et un cocu. Venez me trouver ce soir.

Il sort.

FORD. Quel damné scélérat ! quel monstre de libertinage ! Je sens mon cœur prêt à se briser d’impatience. Qu’on me dise après cela que j’ai tort d’être jaloux ! Ma femme s’est entendue avec lui ; l’heure est fixée, le traité est conclu. Qui l’aurait pu penser ? quel enfer que d’avoir une femme infidèle ! Ainsi, je verrai ma couche souillée, mon coffre-fort au pillage, ma réputation attaquée, et pour comble d’injure, je m’entendrai donner les noms les plus abominables de la bouche même de celui qui m’outrage ! et quels noms, bon Dieu ! Celui d’Amaimon n’a rien qui répugne ; Lucifer sonne bien, Barbason aussi ; pourtant ce sont des dénominations de démons, des noms de réprouvés ; mais cocu, cocu volontaire ! le diable lui-même n’a pas de nom comparable à celui-là. Page est un âne, un âne sans défiance ; il a foi dans sa femme, il n’est point jaloux. J’aimerais mieux confier mon beurre à un Flamand, mon fromage au ministre welche sir Hugues, ma bouteille d’eau-