Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 5.djvu/122

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deux passions contraires, l’excès de la joie et celui de la douleur, son cœur, hélas ! trop faible pour supporter ce combat, s’est rompu avec un sourire.

Edmond. – Votre récit m’a touché, et peut-être produira-t-il quelque bien. Parlez encore ; vous avez l’air d’avoir quelque chose de plus à dire.

Albanie. – Oh ! s’il y a quelque chose de plus déplorable encore, gardez-le ; je me sens déjà mourir pour en avoir tant entendu.

Edgar. – A celui qui craint l’affliction, ceci en aurait pu paraître le terme ; mais un autre trouvera encore de quoi l’augmenter et arriver à son dernier degré – Tandis que j’éclatais en cris douloureux, survient un homme qui, m’ayant vu jadis dans la plus mauvaise situation, fuyait mon odieuse société ; mais, reconnaissant alors quel était celui qui avait tant souffert, il se jette à mon cou, me serre dans ses bras vigoureux, et semblant de ses hurlements vouloir percer les cieux, il se précipite sur le corps de mon père, et me fait sur lui et sur Lear le plus déplorable récit que l’oreille ait jamais entendu. A mesure qu’il racontait, sa douleur devenait plus puissante, les fils de la vie commençaient à se rompre… – La trompette a sonné pour la seconde fois : je l’ai laissé évanoui.

Albanie. – Et qui était cet homme ?

Edgar. – Kent, seigneur ; Kent banni, et qui, déguisé, avait suivi le roi son ennemi, et lui avait rendu des services qui n’eussent pas convenu à un esclave.

Entre précipitamment un gentilhomme un poignard sanglant à la main.

Le gentilhomme. – Au secours ! au secours ! Oh ! du secours !

Edgar. – Quel genre de secours ?

Albanie. – Homme, parle.

Edgar. – Que veut dire ce poignard sanglant ?

Le gentilhomme. – Il est chaud encore, il est fumant ; il sort du coeur….

Albanie. – De qui ? parle.

Le gentilhomme. – De votre épouse, seigneur, de votre