Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/356

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tends-tu donc ? étouffer la beauté, et terminer les jours de celui qui, pendant sa vie, d’un souffle donnait de l’éclat à la rose, du parfum à la violette.

CLVII. — S’il est mort… Oh ! non ; il est impossible qu’en voyant sa beauté tu aies osé le frapper ! Oh ! oui, c’est possible, tu n’as point d’yeux pour voir, mais dans ta rage tu frappes au hasard ; ton but est la vieillesse ; mais ton trait infidèle manque ce but, et perce le cœur d’un enfant.

CLVIII. — Si tu lui avais seulement dit de prendre garde, il eût parlé ; à sa voix ton bras eût été sans pouvoir. Les destinées te maudiront pour ce coup fatal : elles t’ordonnent d’arracher une mauvaise herbe, tu arraches une fleur. C’est la flèche d’or de l’Amour qui aurait dû l’atteindre, et non le dard d’ébène de la Mort pour le tuer.

CLIX. — As-tu soif de larmes, que tu en veuilles faire tant verser ? quel bien un douloureux sanglot peut-il te faire ? pourquoi as-tu plongé dans l’éternel sommeil ces yeux qui apprenaient à voir à tous les yeux ? Maintenant la nature s’inquiète peu de tes coups mortels, puisque ta rigueur a détruit son plus bel ouvrage. »

CLX. — Ici, accablée comme une femme désespérée, elle abaisse ses paupières, qui, comme des écluses, arrêtent l’humide cristal qui coulait en ruisseau de ses deux belles joues, jusque dans le doux lit de son sein : mais cette pluie argentée se fait bientôt jour à travers ces obstacles, et les contraint de se rouvrir par son cours impétueux.

CLXI. — Oh ! combien ses yeux et ses larmes se furent réciproquement redevables ! Ses yeux se voient dans les larmes, les larmes dans ses yeux : l’un et l’autre cristal reproduisent leur douleur mutuelle, leurs douleurs que des soupirs consolateurs cherchaient à calmer. Mais comme on voit dans un jour d’orage tantôt la pluie, tantôt le vent, les soupirs sèchent ses joues que les larmes inondent encore.

CLXII. — Des passions variables se pressent autour de sa constante douleur, comme se disputant à qui conviendra le mieux à sa détresse. Chacune d’elles est accueillie, chaque passion sauvage à la douleur présente semble la plus forte ; mais aucune ne l’emporte sur les autres ; alors elles se confondent ensemble comme un groupe de nuages qui se consultent pour une tempête.

CLXIII. — Cependant elle entend un chasseur appeler dans le lointain. Jamais chant de nourrice ne plut autant à son nourrisson. Ce son appelle l’espérance, qui s’efforce de bannir