Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/357

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les tristes idées qu’elle poursuit : la joie renaissante l’engage à se réjouir et la flatte en lui persuadant que c’est la voix d’Adonis.

CLXIV. — Ses larmes remontent à leur source, et restent prisonnières dans ses yeux comme des perles sous un verre : cependant parfois une de ces perles orientales s’échappe sur sa joue qui l’absorbe, comme si elle craignait de la laisser passer et de la voir laver le sale visage de la terre, qui n’est qu’enivrée lorsqu’elle semble noyée.

CLXV. — Inexplicable amour ! qu’il est étrange de ne pas croire et d’être si crédule ! ton bonheur et ta souffrance sont également extrêmes ; le désespoir et l’espérance te rendent également ridicule : l’une te flatte par d’improbables pensées, et l’autre te détruit aussitôt par des pensées vraisemblables !

CLXVI. — Maintenant elle défait le tissu qu’elle a fabriqué : Adonis vit, la mort n’est plus coupable. Ce n’est pas elle qui l’accusait de ne rien valoir ; elle s’empresse d’ajouter des louanges à son nom odieux : elle l’appelle la reine des tombeaux, le tombeau des rois, la souveraine de toutes les choses mortelles.

CLXVII. — Non, non, dit-elle, aimable Mort, je ne faisais que plaisanter ; cependant pardonne-moi, j’éprouvai une espèce de crainte en voyant le sanglier, cet animal féroce qui ne connut jamais la pitié mais qui reste impitoyable. Voilà pourquoi, aimable fantôme (je dois avouer la vérité), je t’accusais, craignant la mort de mon amant.

CLXVIII. — Ce n’est pas ma faute ; le sanglier a provoqué ma langue. Prends-t’en à lui, invisible souveraine ; c’est cet odieux animal qui t’a outragée ; je n’étais que son instrument ; c’est lui qui est l’auteur de la calomnie. La douleur a deux langues ; et jusqu’ici jamais une femme ne put les gouverner toutes deux sans avoir l’esprit de dix femmes. »

CLXIX. — Espérant qu’Adonis est vivant, c’est ainsi qu’elle atténue ses premiers soupçons, et pour préserver la beauté d’Adonis, elle cherche à s’insinuer humblement dans les bonnes grâces de la Mort ; elle lui parle de ses trophées, de ses statues, de ses monuments ; elle raconte ses victoires, ses triomphes et ses gloires.

CLXX. — O Jupiter ! dit-elle, que j’étais insensée de m’abandonner à tant de faiblesse, et de pleurer la mort de celui qui vit et ne doit pas mourir jusqu’au renversement complet de toute l’espèce humaine ; car avec lui périrait la beauté ; et la beauté une fois morte le noir chaos régnerait de nouveau !