Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/57

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craint de moi à ta cause. Et n’est si sot qu’il se puisse bien persuader que tu sois fou ou insensé : or si tu fais quelque acte qui ressente rien de sérieux et prudent, tant secrètement le saches-tu exécuter, si est-ce que soudain il en aura les nouvelles. Et ne crains encore que les démons ne lui signifient ce qui s’est passé à présent entre nous, tant fortune nous est contraire, et poursuit nos aises, ou que ce meurtre que tu as commis ne soit cause de notre ruine, duquel je feindrai ne savoir rien, comme aussi je tiendrai secrète et ta sagesse et ta gaillarde entreprise. Prions les dieux, mon fils, que guidant ton cœur, dressant tes conseils et bienheurant ton entreprise, je te voie jouissant des biens qui te sont dus, et de la couronne de Danemark que le tyran t’a ravie, afin que j’aie le moyen de me réjouir en ta prospérité et me contenter, voyant avec quelle hardiesse tu auras pris vengeance du meurtrier de ton père, et de ceux qui lui ont donné faveur et mainforte pour l’exécuter. »

— « Madame, répondit Amleth, j’ajouterai foi à votre dire, et ne veux m’enquérir plus outre de vos affaires, vous priant que, selon l’amitié que vous devez à votre sang, vous ne fassiez plus de compte de ce paillard mon ennemi, lequel je ferai mourir, quoique tous les démons le tinssent en leur garde. Et ne sera en la puissance de ses courtisans, que je n’en dépêche le monde, et qu’eux-mêmes ne l’accompagnent aussi bien à la mort, comme ils ont été les pervers conseillers de la mort de mon père, et les compagnons de sa trahison, assassinat et cruelle entreprise. Vous savez, Madame, comme Hothère, votre aïeul, et père du bon roi Rorique, ayant vaincu Guimon, le fit brûler tout vif, à cause qu’auparavant ce cruel paillard avait usé de tel traitement à l’endroit de Génare son seigneur