Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/58

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qu’il prit de nuit et par trahison. Et qui est celui qui ne sache que les traîtres et parjures ne méritent point qu’on leur garde foi ni loyauté quelconque, et que les pactes faits avec un assassin se doivent estimer comme toiles d’araignées et tenir en même rang comme chose non promise ? Mais quand j’aurai dressé la main contre Fengon, ce ne sera ni trahison ni félonie, lui n’étant point mon Roi ni seigneur ; mais justement le punirai, comme mon vassal qui s’est forfait déloyalement contre son seigneur et souverain prince. Il faut ou qu’une fin glorieuse mette, fin à mes jours, ou que les armes au poing, chargé de triomphe et victoire, je ravisse la vie à ceux qui rendent la mienne malheureuse. Et de quoi sert vivre où la honte et l’infamie sont les bourreaux qui tourmentent notre conscience, et la poltronnerie est celle qui retarde le cœur des gaillardes entreprises, et détourne l’esprit des honnêtes désirs de gloire et louange qui sera à jamais durable ? Je sais que c’est fortement fait que de cueillir un fruit avant saison, et de tâcher de jouir d’un bien duquel on ne sait si la jouissance nous est due. Mais je m’attends de faire bien et espère tant en la fortune qui a guidé jusqu’ici les actions de ma vie que je ne mourrai pas sans me venger de mon ennemi, et que lui-même sera l’instrument de sa ruine, et me guidera à exécuter ce que de moi-même je n’eusse osé entreprendre. »

» Après ceci, Fengon, comme s’il fût venu de quelque lointain voyage, arrive en cour, et, s’inquiétant de celui qui avait entrepris la charge d’espion, pour surprendre Amleth en sa sagesse dissimulée, fut bien étonné n’en pouvant ouïr vent ni nouvelle : et pour cette cause, demanda au fou s’il savait qu’était devenu celui qu’il nomma. Le prince, qui n’était menteur, et qui, en quelque réponse que jamais il fit durant sa feinte folie, ne s’était