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INTRODUCTION.

cès d’une telle tentative ? Voilà la question. Voyons la solution.

Angelo a laissé entrer Isabelle avec l’insouciante hauteur d’un tout-puissant sûr de lui-même. Il a une telle confiance dans son caractère qu’il empêche le prévôt de sortir, pour donner à cet indulgent magistrat le spectacle de son inflexibilité exemplaire. — Invitée à parler, Isabelle explique timidement le motif qui l’amène ; mais les premiers mots qu’elle prononce sont nécessairement maladroits. La novice a tellement peur d’excuser le péché, même en apparence, que, malgré elle, elle exagère la culpabilité de Claudio, au lieu de l’atténuer. Sa rigidité monacale donne raison au rigorisme légal du juge. Elle condamne la faute commise avec plus de sévérité qu’Angelo lui-même. Elle abhorre cette faute « entre toutes » et désire « la voir tomber sous le coup de la justice. » La seule chose qu’elle demande au gouverneur, c’est de condamner le crime sans condamner le criminel. Angelo n’a pas de peine à démontrer combien cette distinction est spécieuse : « Condamner le crime, et non l’auteur du crime ! mais tout crime est condamné avant d’être commis. Ma fonction serait réduite à néant si je flétrissais les crimes que répriment nos codes en laissant libres leurs auteurs. » Isabelle ne saurait répliquer à cette conclusion logiquement tirée de ses propres prémisses ; déjà elle abandonne la cause : « Ô juste, mais rigoureuse loi ! s’écrie-t-elle, j’ai donc eu un frère ! » Et, saluant le gouverneur, elle va se retirer. Heureusement Lucio est là qui la relient par le pan de sa robe. Le libertin ne comprend pas le pieux scrupule qui fait reculer la vierge. Il prend pour une lâche indifférence ce pudique désistement : « Ne renoncez pas ainsi, revenez à la charge, suppliez-le, agenouillez-vous devant lui, pendez-vous à son manteau. Vous êtes trop froide, vous