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INTRODUCTION.

d’un jour. Acharnez-vous, pouvoirs impuissants. Vous n’éteindrez pas le doux sourire de cette jeune fille inclinée devant son père ; vous ne dissoudrez pas ce faisceau de cœurs ! La famille expatriée est devenue patrie.

La famille est un sanctuaire inaccessible. Elle interdit son seuil vénéré à tous les despotismes extérieurs. Elle recueille dans son hospice inviolable les blessés du dehors, elle les console, elle les ranime ; elle panse leurs plaies et les ferme sous les baisers. Elle offre aux âmes fatiguées son repos salutaire, elle prodigue aux cœurs brisés ses caresses souveraines. La vie privée est sa sphère légale et légitime. Elle a pour domaine propre l’ombre du toit domestique. C’est dans cette ombre discrète qu’elle cache ses archives de courage, ses traditions de vertu, ses trésors d’émotions ineffables. Cette ombre est à la fois sa force et sa pudeur. C’est à cette ombre qu’elle renouvelle et perpétue le type divin qui lui a été transmis dès l’origine. C’est dans cette ombre qu’elle doit vivre et se renfermer. Pour peu qu’elle en veuille sortir, elle altère son caractère et ment à sa mission.

Oui, c’est à la condition de ne pas quitter le toit domestique que la famille garde son essence. Dès qu’au lieu de concentrer son énergie en elle-même, elle prétend l’épancher à l’extérieur, dès qu’abusant de son antique majesté et de son prestige héréditaire, elle envahit la cité, dès ce moment elle cesse d’être une puissance tutélaire pour devenir un danger social. Cette communauté, si admirable et si sainte dans la vie privée, n’est plus qu’une faction dans la vie publique. Aussitôt qu’elle empiète sur l’État, la famille se dégrade et dégénère en aristocratie. Elle transforme en bastille despotique son asile providentiel, elle se met un blason à la place du cœur, elle ravale au patriciat l’auguste paternité, elle échange l’auréole pour la couronne.

Dès lors l’autorité de la famille n’apparaît plus que comme