Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 3.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

36 COMME IL VOUS PLAIRA.

maître ! 0 mon doux maître ! 0 vous souvenir vivant du vieux sire Roland ! que faites-vous ici ? pourquoi êtesvous vertueux ? pourquoi tout le monde vous aime-t-il ? pourquoi êtes-vous doux, fort et vaillant ? pourquoi avez-vous été assez téméraire pour renverser le vigoureux lutteur du duc aux humeurs noires ? Votre célébrité est arrivée trop vite avant vous au logis. Maître, ne savez-vous pas qu’il y.a des hommes pour qui leurs qualités sont autant d’ennemis ? C’est là ce que vous sont les vôtres : vos vertus, mon aimable maître, sont pour vous des traîtres sanctifiés et bénis. Oh ! quel monde est le nôtre, où ce qui est aimable emprisonne son possesseur !

ORLANDO. — Qu’est-ce ? que veux-tu dire ?

ADAM, — 0 malheureux jeune homme, ne passez pas cette porte ! Sous ce toit habite l’ennemi de toutes vos vertus. Votre frère, — votre frère, ■ non, non, — et cependant il est le.fils.... non, il n’est pas le fils, je ne l’appellerai pas le fils de celui que j’allais nommer son père, :votre frère donc a appris les louanges qu’on fait de vous, et cette nuit il a.le projet de brûler la maison que vous habitez, et vous avec ; s’il ne réussit pas dans ce projet, il.aura d’autres moyens de vous détruire. Je l’ai deviné lui et ses complots. Ce n’est pas ici votre place :’ cette maison n’est qu’une boucherie ; détestez-la, redoutez-la, n’y entrez pas.

ORLANDO. — Mais, où veux-tu que j’aille, Adam ?

ADAM. — N’importe où, pourvu que vous n’entriez pas ici.

ORLANDO. — Quoi ! veux-tu donc que-j’aille mendier mon pain ? ou bien que j’aille, avec une épée lâche et scélérate, gagner la vie d’un voleur sur la grande route ? car si je ne fais pas cela, je ne sais quoi faire, et cela je ne. veux pas le faire, quelle que soit la chose que je-sois obligé de faire : j’aime mieux m’exposer à là méchanceté d’un sang dégénéré et d’un frère sanguinaire.

ADAM. — Non, ne faites pas cela. Je possède cinq cents écus provenant des économies que j’ai "faites- petit à petit sous votre père ; j’avais mis cette épsrgne de côté,