Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/101

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montagne, Pisanio te montra à mes yeux, tu étais cependant à portée de la vue. O Jupiter, je crois que les asiles fuient devant les misérables, ceux-là, au moins, où ils pourraient trouver secours. Deux mendiants m’ont dit que je ne pouvais me tromper de chemin : mentent-ils donc aussi les pauvres gens sur qui pèse l’affliction, eux qui savent quel châtiment ou quelle épreuve est la misère ? Certes, ce n’est pas étonnant, lorsque les gens riches disent si rarement la vérité : pécher dans l’abondance est plus coupable que mentir dans le besoin, et la fausseté est plus criminelle chez les rois que chez les mendiants. Mon cher Seigneur ! tu es, toi, un de ces hommes faux : maintenant que ma pensée se porte sur toi, ma faim est passée ; cependant, il n’y a pas une minute, j’étais sur le point de succomber sous le besoin de nourriture. — Mais qu’est-ce que je vois là-bas ? Il y a un sentier qui y mène : c’est quelque repaire sauvage. Je ferais mieux de ne pas appeler : je n’ose pas appeler : cependant la faim, avant d’anéantir la nature, commence par la rendre vaillante. L’abondance et la paix engendrent les lâches : nécessité est toujours mère de courage. — Holà ! y a-t-il quelqu’un ici ? Si c’est quelqu’un de civilisé, qu’il parle ; si c’est quelqu’un, de sauvage, qu’il prenne ou demande ce qu’il voudra en échange de ma nourriture. — Holà ! — Pas de réponse ? En ce cas, je : vais entrer. Il est bon que je tire mon épée ; si mon ennemi craint une épée seulement autant que moi, il osera à peine y jeter les yeux. Donnez-moi un tel ennemi, ô cieux bons ! (Elle entre dans la grotte.)

Entrent BELARIUS, GUIDERIUS et ARVIRAGUS.

BELARIUS. — Vous, Polydore, qui vous êtes montré le meilleur batteur de buissons, vous êtes roi du festin : Cadwal et moi, nous jouerons le cuisinier et le serviteur ; c’est notre convention : l’effort de l’industrie dépérirait et mourrait bientôt, sans la nécessité qui le stimule. Venez ; nos-appétits feront paraître, savoureux ce qui est grossier : la fatigue peut ronfler sur un lit de cail