Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/114

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les bras de mon frère, tu n’es pas de moitié aussi gracieux que lorsque tu te soutenais toi-même.

BELARIUS. — Ô mélancolie ! qui jamais apu plonger jusqu’à ton fond ? qui jamais a sondé ton limon pour montrer la côte où ton lent petit navire pourrait le plus aisément s’abriter ? — Ô bienheureuse créature ! Jupiter sait quel homme tu aurais pu devenir ; mais moi je sais, enfant très-rare, que tu es mort de mélancolie ! — En quel état l’avez-vous trouvé ?

ARVIRAGUS. — Roide comme vous le voyez : souriant ainsi, comme si quelque mouche avait chatouillé son sommeil de manière à le faire rire, et non comme si le dard de la mort l’avait percé ; sa joue droite reposant sur un coussin.

GUIDERIUS. — Où ça ?

ARVIRAGUS. — Sur le plancher, les bras ainsi croisés : je croyais qu’il dormait, et j’ai retiré de mes pieds mes souliers ferrés dont la pesanteur faisait trop retentir mes pas.

GUIDERIUS. — En effet, on dirait qu’il dort seulement s’il nous a quittés, il fera de sa fosse un lit : les fées féminines hanteront sa tombe, et les vers ne s’en approcheront pas.

ARVIRAGUS. — Tout le long de l’été, tant que je vivrai ici, Fidèle, je parfumerai ta triste tombe des plus belles fleurs : il ne te manquera ni la fleur qui ressemble à ton visage, la pâle primevère, ni la jacinthe azurée comme tes veines, ni la feuille de l'églantine qui, sans vouloir lui faire tort, n’égalait pas en parfums ton haleine : le rouge-gorge avec son bec charitable, — ô bec qui fais cruellement honte à ces riches héritiers qui laissent leurs pères sans monument ! — t’apporterait lui-même tout cela pour t’en couvrir ; oui, et lorsque les fleurs seraient passées, il t’apporterait aussi des fourrures de mousse pour protéger ton corps contre l’hiver [1].

GUIDERIUS. — Cesse, je t’en prie, et ne joue plus avec des paroles bonnes pour une fillette sur une circonstance si sérieuse. Ensevelissons-le, et que notre admiration ne