Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/142

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les Dieux veulent qu’il n’y ait pour nous d’autre rançon que la mort, qu’elle vienne : il suffit à un Romain de savoir, souffrir avec un cœur romain : Auguste existe et pensera à ce qu’il doit faire à cet égard ; voilà pour ce qui me touche particulièrement. J’implorerai de vous une seule grâce : permettez que mon page, né Breton, soit racheté : jamais maître n’eut page si tendre, si fidèle à ses devoirs, si diligent, si scrupuleux, si loyal, si adroit, si bonne ménagère en quelque sorte. Que sa vertu appuie ma requête que Votre Altesse ne repoussera pas, j’ose l’affirmer ; il n’a fait aucun mal aux Bretons, quoiqu’il ait servi un Romain : sauvez-le, Sire, et n’épargnez ensuite le sang d’aucun de nous.

CYMBELINE. — Pour sûr je l’ai vu ; sa physionomie m’est familière. — Enfant, tes regards t’ont conquis ma faveur, et tu m’appartiens désormais. Je ne sais pourquoi ni comment, je suis poussé à te dire : « Vis, enfant. » Ne remercie pas ton maître : vis, et demande à Cymbeline n’importe quel présent que ma générosité puisse t’accorder et qui convienne à ta condition, je te le donnerai ; oui. quand bien même tu me demanderais un prisonnier, et le plus noble de tous.

IMOGÈNE. — Je remercie humblement Votre Altesse.

Lucius. — Je ne te recommande pas de solliciter pour ma vie, mon bon garçon ; je sais que tu le feras.

IMÔGÈNE. — Non, non ; hélas, bien autre chose me réclame : je vois une chose qui pour moi est plus amère que la mort : votre vue, mon bon maître, devra prendre soin d’elle-même.

Lucius. — L’enfant me dédaigne, il m’abandonne, il me méprise ; courtes sont les joies de ceux qui se fient à la fidélité des filles et des garçons. — Pourquoi a-t-il l’air si perplexe ?

CYMBELINE. — Que désirerais-tu, enfant ? Je t’aime de plus en plus ; pense aussi de plus en plus à ce que tu aimes mieux me demander. Est-ce que tu connais l’homme que tu regardes ? Parle, veux-tu qu’il vive ? est-il ton parent ? ton ami ?