Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/141

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fessé qu’elle vous réservait un poison mortel qui, une fois pris, se serait nourri de votre vie, minute par-minute, et vous aurait consumé lentement, atome par atome ; pendant ce temps-là, elle comptait, à force de vous veiller, de vous tenir compagnie, de pleurer, de vous embrasser, vous entortiller par ses comédies ; oui, et une fois qu’elle vous aurait tenu par ses rusés, vous’amener à déclarer son fils héritier de la couronne ; mais, trompée dans ses fins par l’étrange absence de ce dernier, elle s’abandonna à un désespoir sans pudeur, découvrit ses desseins, au mépris du ciel et des hommes, se repentit de n’avoir pu faire éclore les crimes qu’elle avait couvés, et mourut ainsi, désespérée.

CYMBELINE. — Avez-vous entendu tout cela, vous, ses femmes ?

PREMIÈRE DAME. — Nous l’avons entendu, plaise à Voire Altesse.

CYMEELINE. — Mes yeux ne furent point coupables puisqu’elle était belle ; ni mes oreilles, puisqu’elles entendaient ses flatteries ; ni mon cœur, puisqu’il la croyait telle qu’elle se montrait. Se défier d’elle eût été vicieux : cependant, ô ma fille, tu pourrais bien dire que ce fut chez moi folie, et en trouver la preuve dans ce que tu as dû sentir. Puisse le ciel réparer tout !

Entrent LUCIUS, IMOGÈNE, IACHIMO, LE DEVIN,

et autres prisonniers romains sous garde ; POSTHUMUS

vient par derrière.

CYMBELINE. — Tu ne viens plus maintenant pour demander le tribut, Caïus ; ce tribut, les Bretons l’ont aboli, en perdant, il est vrai, bien des braves, dont les parents ont demandé que les mânes fussent apaisés par votre massacre, à vous, leurs captifs, demande que nous leur avons accordée : ainsi, préparez-vous à votre sort.

Lucius. — Sire, considérez les chances de la guerre : la journée vous appartient par accident ; si elle nous eût appartenu, nous n’aurions pas, une fois notre-sang refroidi, menacé vos prisonniers du glaive. Mais puisque