Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/167

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« Consens, ô toi miracle, à arrêter ton coursier, et à courber sa tète orgueilleuse à l’arçon de la selle ; si tu daignes m’accorder cette faveur, pour ta récompense, mille secrets doux comme miel te seront révélés : viens et assieds-toi ici où jamais serpent ne siffle, et une fois assis je t’étoufferai de baisers ;

« Et cependant mes baisers ne lasseront pas tes lèvres d’une satiété abhorrée ; au contraire elles n’en seront que plus affamées par leur abondance, et tour à tour sous leur variété sans cesse renaissante elles passeront de l’incarnat à la pâleur : dix baisers seront courts comme un seul, un seul long comme vingt. Dépensé dans des jeux qui trompent à ce point le temps, un jour d’été ne paraîtra qu’une heure trop courte. »

Et là-dessus elle saisit sa main moite, indice de sève et d’ardeur, et tremblante sous l’excès de la passion, elle appelle cela un baume, un onguent souverain pour amener la guérison d’une déesse : possédée comme elle l’est, son désir lui donne force et courage de l’arracher de son cheval.

Un de ses bras est enlacé aux rênes du bouillant coursier, de l’autre elle entoure le tendre adolescent qui rougit et rechigne avec un dédain morose, sans appétit d’amour, sans art de.caresses. Elle, elle est rouge et chaude comme les charbons enflammés ; lui, il est rouge de honte, mais gelé de désirs.

Lestement elle attache à une branche noueuse la bride constellée de clous ; — ô que vif est l’amour ! — Le cheval bien attaché, aussitôt elle commence à vouloir attacher le cavalier-à son tour : elle le pousse sur le dos, juste comme elle voudrait être renversée, et le maîtrise au moins par la force sinon par la concupiscence.

À peine est-il étendu à terre qu’elle est allongée à ses côtés, tous deux sont appuyés sur leurs coudes et leurs hanches : voilà qu’elle lui tapote la joue, et voilà qu’il fronce le sourcil et qu’il commence à se fâcher ; mais aussitôt elle arrête ses lèvres, et l’embrassant, elle lui dit avec le langage entrecoupé de la passion, « si tu veux gronder tu n’ouvriras jamais les lèvres. »