Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/37

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perdue : aussi la reine qui désirait beaucoup le mariage : mais quant aux courtisans, quoiqu’ils aient mis leurs visages à l’unisson de la physionomie du roi, il n’en est pas un seul qui ne soit joyeux dans son cœur de la chose contre laquelle ils grommellent.

SECOND GENTILHOMME. — Et pourquoi cela ?

PREMIER GENTILHOMME. — Celui qui a manqué la princesse est un être au-dessous même d’un mauvais renom ; et celui qui la possède (j’entends qui l’a épousée — hélas ! l’homme noble ! — et qui en conséquence est banni) est un être tel que si l’on cherchait son pareil à travers toutes les régions de la terre, il manquerait toujours quelque chose à celui qu’on lui comparerait : — je ne crois pas qu’aucun homme au monde possède une plus belle enveloppe, et soit riche intérieurement de plus beaux dons.

SECOND GENTILHOMME. — Votre éloge va loin.

PREMIER GENTILHOMME. — Ma louange reste encore au-dessous de son mérite, Seigneur ; je le rapetisse, plutôt que je ne lui fais juste et due mesure.

SECOND GENTILHOMME. — Quel est son nom, et quelle est sa naissance ?

PREMIER GENTILHOMME. — Je ne sais pas à fond ses origines : son père se nommait Sicilius, et conquit son renom contre les Romains sous les drapeaux de Cassibelan ; mais ses titres lui vinrent de Tenantius, qu’il servit avec une gloire et un succès dignes d’admiration, et c’est ainsi qu’il gagna le surnom de Leonatus : outre ce gentilhomme en question, il eut deux autres fils, qui moururent leurs épées à la main dans les guerres de leur temps : par suite de quoi, leur père, qui alors était vieux et passionnément désireux de laisser une postérité, ressentit un tel chagrin qu’il en quitta ce monde ; et sa charmante femme, alors grosse du gentilhomme qui fait le sujet de notre conversation, expira après lui avoir donné naissance. Le roi prit l’enfant sous sa protection ; l’appela Leonatus Posthumus ; l’éleva, et le fit l’hôte de ses appartements intimes : il lui fit donner toute l’instruction que son temps le mettait à même de recevoir, ins-