Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/41

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indignité, tu es mort : fuis ! tu es un poison pour mon sang.

POSTHUMUS. — Les dieux vous protègent ! et qu’ils bénissent les personnes vertueuses qui restent à la cour ! Me voici parti. (Il sort.)

IMOCÈNE. — La mort ne peut avoir de douleur plus poignante que celle-là.

CYMBÉLINE. — Ô créature déloyale qui devais renouveler ma jeunesse, tu m’as accablé sous le fardeau d’une vieillesse d’un siècle !

IMOGÈNE. — Je vous en conjure, Sire, ne vous faites point de mal en vous tourmentant : votre courroux me laisse insensible ; un coup plus vif domine en moi toutes autres souffrances, toutes autres craintes.

CYMBÉLINE. — Avez-vous perdu toute grâce ? toute obéissance ?

IMOGÈNE. — J’ai perdu toute espérance et je vis dans le désespoir ; de cette façon, je puis dire que j’ai perdu toute, grâce.

CYMBÉLINE. — Toi qui aurais pu avoir le fils unique de ma reine !

IMOGÈNE. — Oh, bienheureuse suis-je de ne l’avoir pu ! j’ai choisi un aigle, et j’ai refusé un busard.

CYMBÉLINE. — Tu as pris un mendiant ; aurais-tu voulu faire de mon trône un siège de bassesse ?

IMOGÈNE. — Non, je lui ajoutais plutôt un lustre.

CYMBÉLINE. — Ô vile que tu es !

IMOGÈNE. — Sire, c’est votre faute si j’ai aimé Posthumus : vous l’avez élevé comme mon compagnon de jeux, et c’est un homme qui est digne de toute femme ; en m’épousant, on peut presque dire qu’il paye mon prix avec usure.

CYMBÉLINE. — Comment ! êtes-vous folle ?

IMOGÈNE. — Presque, Sire : que le ciel me guérisse ! Je voudrais être la fille d’un vacher, et que mon Leonatus fût le fils du berger notre voisin !

CYMBÉLINE. — Ô sotte créature !