Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/57

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IACHIMO. — Je vous remercie, Madame ; bien. (À Pisanio.) Je vous en prie, Monsieur, invitez mon valet à rester là où je l’ai laissé : il est étranger et d’esprit simple.

PISANIO. — Je me disposais à aller lui souhaiter la bienvenue, Seigneur. (Il sort.)

IMOGÈNE. — Mon Seigneur continue-t-il d’être en bonne santé, je vous prie ?

IACHIMO. — Sa santé est bonne, Madame.

IMOGÈNE. — Est-il disposé à la gaieté ? j’espère que oui.

IACHIMO. — Extrêmement jovial : il n’y a pas un étranger qui soit aussi gai et qui ait autant d’entrain : on l’appelle le bon vivant Breton.

IMOGÈNE. — Lorsqu’il était ici, il inclinait à la tristesse, et souvent sans savoir pourquoi.

IACHIMO. — Je ne l’ai jamais vu triste. Il y a dans sa compagnie, un Français, un éminent Monsieur, qui, paraît-il, adore dans son pays une fille de la Gaule : c’est une vraie fournaise de soupirs ; à ce spectacle le joyeux Breton, — votre époux, veux-je dire, — rit à pleins poumons, crie, « oh ! les côtes me font mal, tant je ris en pensant qu’un homme qui sait par l’histoire, les récits du monde, sa propre expérience, ce qu’est la femme, ce qu’elle ne peut s’empêcher d’être, ce qu’elle doit être, consent à passer ses heures de liberté à languir après un esclavage assuré ! »

IMOGÈNE. — Est-ce que Monseigneur parle ainsi ?

IACHIMO. — Oui, Madame, et avec les yeux en larmes à force de rire : c’est un divertissement d’être présent alors et de l’entendre railler le Français. Mais les cieux savent que certains hommes sont fort à blâmer.

IMOGÈNE. — Mais non pas lui, j’espère.

IACHIMO. — Lui, non : mais cependant les prodigalités du ciel à son endroit pourraient être employées avec plus de reconnaissance. Les dons du ciel dans sa personne même sont grands ; par vous, que je compte au nombre de ses dons, ils sont-au-dessus de toute estimation. Au moment même où je suis forcé d’admirer, je suis forcé de m’apitoyer aussi.