Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/59

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IMOGÈNE. — Mon Seigneur, je le crains, a oublié la Bretagne.

IACHIMO. — Et lui-même. Ce n’est pas volontiers, et par penchant à l’indiscrétion que je vous révèle la bassesse de l’échange qu’il a fait ; mais c’est la force de votre grâce qui, agissant sur ma langue comme un charme, tire ce secret des profondeurs muettes de ma conscience.

IMOGÈNE. — Je ne veux pas en entendre davantage.

IACHIMO. — Ô très-chère âme, votre sort frappe mon cœur d’une telle pitié que j’en suis malade ! Une Dame si belle, et héritière d’un empire qui doublerait la valeur du plus grand roi, être associée à des créatures payées avec cette même.pension qui sort de vos coffres ! à de malsaines aventurières qui pour de l’or vont se risquer à toutes les infirmités que la corruption peut infliger à la nature ! à des pestes qui empoisonneraient le poison même ! Vengez-vous, ou celle qui vous enfanta n’était pas reine, et vous dégénérez de votre grande origine !

IMOGÈNE. — Me venger ! comment pourrais-je me venger ? Si ce que vous dites est vrai, — j’ai un cœur qui ne veut pas permettre à mes deux oreilles de l’abuser trop vite, — si ce que vous dites est vrai, comment pourrais-je me venger ?

IACHIMO. — Comment ! il vous ferait vivre comme uiie prêtresse de Diane, entre des draps froids, tandis qu’il se livre aux cabriolades de ses caprices changeants, à votre offense, aux dépens de votre bourse ? Tirez-en vengeance ! Je me dévoue à vos doux plaisirs ; je suis plus noble que ce renégat, de votre lit, et je resterai attaché à votre tendresse, toujours aussi discret que fidèle.

IMOGÈNE. — Holà, Pisanio !

IACHIMO. — Laissez-moi inféoder mon dévouement sur vos lèvres.

IMOGÈNE. — Arrière ! je condamne mes oreilles pour l’avoir si longtemps écouté. — Si tu étais un homme d’honneur, tu m’aurais fait cette révélation dans une fin vertueuse, non dans la fin aussi basse qu’inconcevable que tu recherches. Tu calomnies un gentilhomme qui