Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/87

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d’un bel exploit. Combien de fois le mal n’est-il pas la récompense du bien accompli ! et ce qui. est pis, combien de fois ne faut-il pas faire la révérence à la censure ! Ô mes enfants, le inonde peut lire une telle histoire dans ma personne : mon corps porte les marques des épées romaines, et j’étais renommé autrefois parmi les plus il-lustres : Cymbéline m’aimait, et lorsqu’un soldat faisait le sujet d’une conversation, mon nom n’était pas loin ; alors j’étais comme un arbre dont les rameaux s’inclinent sons la charge de leurs fruits ; mais en une seule nuit, une tempête, ou un vol, — appelez cela comme vous voudrez, — secoua mes fruits mûrs, abattit jusqu’à mes feuilles, et me laissa nu exposé aux rigueurs de l’hiver.

GUIDERIUS. — Ô faveur incertaine !

BELARIUS. — Toute ma faute, comme je vous l’ai dit souvent, consistait en ceci, — que deux scélérats dont les faux serments prévalurent sur mon parfait honneur, jurèrent à Cymbéline que j’étais confédéré avec les Romains : mon bannissement s’ensuivit, et pendant ces vingt années, ce rocher et ces domaines ont été mon univers ; j’y ai vécu en honnête liberté ; j’y ai payé plus de pieuses dettes envers le ciel que je n’avais fait pendant toute ma vie précédente. — Mais, allez, aux montagnes ! ce que nous disons là n’est pas langage de chasseurs..-Celui qui tuera la première pièce de gibier sera le roi du festin ; les deux autres le serviront, et nous ne craindrons pas le poison qui menace souvent dans de plus hauts parages. Je vous retrouverai-dans les vallées. (Sortent Guiderius et Arviragus.) Comme il est difficile de cacher les étincelles delà nature ! Ces jeunes gens se doutent-peu qu’ils sont les fils du roi, et Cymbéline ne rêve guère qu’ils sont vivants. Us croient qu’ils sont mes enfants, et quoiqu’ils soient élevés pauvrement dans cette grotte qui leur tient la tête basse, leurs pensées vont atteindre les plafonds des palais ; la nature les pousse à prendre les choses même simples et vulgaires d’une façon princière qui laisse bien loin les manières des autres. Ce Pplydore, l’héritier-de la Bretagne et de Cymbéline, que le roi son