Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/86

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celle qui se pavane dans des vêtements de soie non payés : ces gens-là peuvent bien obtenir le coup de chapeau du marchand qui fait leur élégance, mais en même temps ils restent couchés sur ses livres : il n’est pas de vie comparable à la nôtre.

GUIDERIUS. — Vous parlez d’après votre expérience : mais nous, pauvres, oiseaux sans plumes, nous, n’avons jamais dans notre vol perdu le nid de vue, et nous ignorons de quelle nature est l’air loin de notre logis. Peut-être cette vie est-elle la meilleure, si la vie au sein du repos est la meilleure ; elle vous est d’autant plus douce que vous en avez connu une plus âpre ; elle est en harmonie parfaite avec votre vieillesse aux membres roi dis ; mais pour nous, elle est une cellule d’ignorance, un voyage dans un lit, la prison d’un débiteur qui n’ose pas enjamber la limite prescrite.

ARVIRAGUS. — De quoi parlerons-nous quand nous serons vieux comme vous ? Lorsque nous entendrons le vent et la pluie fouetter le sombre Décembre, comment dans cette grotte froide ferons nous passer par nos discours les heures glacées ? Nous n’avons rien vu : nous sommes comme des bêtes ; subtils comme le renard pour trouver la proie ; belliqueux comme le loup pour notre pâture : notre valeur consiste à chasser ce qui fuit ; comme l’oiseau emprisonné, nous faisons un chœur de notre cage, et nous chantons notre esclavage avec l’entrain de la liberté.

BELARIUS. — Comme vous parlez ! Ah, si vous connaissiez les mœurs des cités, et si vous les connaissiez pour les avoir senties ! Si vous connaissiez les artifices de la cour, qu’il est aussi difficile de quitter qu’il est difficile de s’y maintenir : le faîte ne peut en être escaladé que par une chute certaine, ou bien il est si glissant que la crainte de tomber fait autant souffrir que la chute ! Si vous connaissiez le travail de la guerre, fatigue qui semble avoir pour seul but de chercher le danger au nom de la gloire et de l’honneur ; mais cette espérance expire dans la recherche même, et celui qui la poursuit attrape aussi souvent une épitaphe infâme que l’inscription