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DE PERCY BYSSHE SHELLEY

Mais la différence eût été aussi grande que celle qui existe éternellement entre la notoriété et la renommée. Godwin a été pour la philosophie morale, dans le siècle présent, ce qu’est Wordsworth en poésie. L’intérêt personnel de ce dernier eût probablement souffert de sa recherche des vrais principes du goût en poésie, autant que tout ce qui est passager dans la réputation de Godwin a souffert de sa hardiesse à faire connaître les vraies bases de l’esprit, si la servilité, la dépendance et la superstition n’avaient été trop aisément conciliables avec sa manière de s’écarter des opinions des grands et de la majorité. Il est singulier que les autres nations de l’Europe aient, sur ce point, anticipé le jugement de la postérité, et que le nom de Godwin, celui de son illustre et admirable épouse, soient prononcés avec respect et admiration, par ceux même qui n’ont qu’une faible connaissance de la littérature anglaise, et que les écrits de Mary Wolstonecraft aient été traduits et universellement lus en France et en Allemagne, longtemps après que le fanatisme de parti les eut étouffés dans notre pays même.

Mandeville est la dernière production de Godwin. L’intérêt en est peut-être inférieur à Caleb Williams. On n’y trouve pas un caractère comme celui de Falkland, que l’auteur, avec cette sublime casuistique qui engendre la tolérance et la patience, nous fait aimer personnellement, alors même que ses actes doivent être pour nous un éternel sujet d’étonnement et d’horreur. Mandeville éveille notre compassion et rien de plus. Les fautes ont leur source dans l’immuable nécessité de la nature